MESSAGE
DE   COMMENTRY
1er   MAI   1941


MES  AMIS,             

J'AI tenu à passer au milieu de vous cette journée du 1er Mai, la première depuis l'Armistice, afin de bien marquer le sens et l'importance que j'attache à l'idée du travail, autour de laquelle doit s'opérer, selon moi, la réconciliation de tous les Français.

             Le 1er Mai a été, jusqu'ici, un symbole de division et de haine. Il sera désormais un symbole d'union et d'amitié parce qu'il sera la fête du travail et des travailleurs.

             Le travail est le moyen le plus noble et le plus digne que nous ayons de devenir maîtres de notre sort. Un homme qui sait accomplir une tâche avec courage et expérience, représente toujours une valeur pour ses semblables.

             La plus saine fierté que l'on puisse éprouver est de se sentir utile par un travail bien fait. Aucun privilège de rang ou de fortune ne donne à quelqu'un autant de confiance dans la vie et de bienveillance à l'égard d'autrui.

             Le travail répond à cette loi sévère de la nature que rien ne s'obtient sans effort.

             Cette loi du travail a été marquée par une formule de malédiction : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». C'est donc à tort qu'on a fait luire à vos yeux le mirage d'une cité future où il n'y aurait plus de place que pour le loisir et pour le plaisir.

             Mais si le travail est pour l'homme un fardeau, il est aussi un bienfait ; il est, en effet, une condition de la bonne santé morale et physique, de l'équilibre et du développement des facultés humaines.

             C'est une erreur de croire que l'on puisse conserver intacts ses dons ou ses facultés dans l'oisiveté. Nous ne développons nos capacités et n'augmentons nos forces que par l'exercice que nous leur donnons.

             La même expérience vaut pour les nations et pour les individus. Une grande nation ne se fait pas par un privilège ou une faveur de la chance : elle se fait par le travail continu de tous ses enfants de génération en génération.

             Un chef d'industrie, un patron, pour mériter le commandement dont il est investi, doit se considérer comme ayant charge d'existences et même, en un certain sens, charge d'âmes ; il doit avoir le souci majeur de la dignité, du bien-être, de la santé, du moral de ses collaborateurs et de leurs familles.

             Il doit même faire un pas de plus, et, respectant, la liberté de ses ouvriers, ne pas vouloir à toute force leur bien tel qu'il le conçoit, lui, mais tel qu'ils le conçoivent, eux.

             Que veulent-ils donc au juste, les ouvriers, lorsque, délivrés de leurs mauvais bergers, ils s'interrogent dans l'honnêteté de leur conscience et dans la sincérité de leur coeur ?

             Ils veulent d'abord :

             S'évader de l'anonymat où ils ont été jusqu'ici trop souvent confinés ; ne pas vendre leur travail comme une marchandise, mais comme des êtres vivants, pensants, souffrants ; avoir avec leurs chefs des relations d'homme à homme.

             Ils veulent ensuite :

             Échapper à l'incertitude du lendemain ; être protégés contre les aléas du chômage ; trouver dans leur métier une sécurité ou, pour mieux dire, une propriété ; avoir la possibilité d'y avancer jusqu'à la limite de leurs aptitudes.

             Ils veulent en outre :

             Participer dans une mesure raisonnable aux progrès de l'entreprise à laquelle ils sont associés ; avoir une sauvegarde efficace contre les misères qui les guettent, lorsque survient la maladie ou lorsqu'arrive la vieillesse ; pouvoir élever leurs enfants et les mettre en état, selon leurs capacités, de gagner honorablement leur vie.

             Toutes ces aspirations sont légitimes, et, dans l'ordre nouveau que nous préparons, elles devront être satisfaites. Elles pourront l'être sans grever les prix de revient d'une charge trop lourde, pour peu que l'esprit de collaboration porte son fruit naturel sous la forme d'un accroissement de la production en quantité et en qualité.

 

             Cet ordre nouveau, en quoi consiste-t-il ?

             Abandonnant tout ensemble le principe de l'individu isolé en face de l'État, et la pratique des coalitions ouvrières et patronales dressées les unes contre les autres, il institue des groupements comprenant tous les membres d'un même métier : patrons, techniciens, ouvriers.

             Le centre du groupement n'est donc plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l'intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise.

             Le bon sens indique en effet, lorsqu'il n'est pas obscurci par la passion ou par la chimère, que l'intérêt primordial, essentiel, des membres d'un même métier, c'est la prospérité réelle de ce métier.

             Les artisans ont été les premiers à comprendre cette grande vérité et à la mettre en pratique. Il existe déjà parmi eux de nombreux essais de précorporations qui n'attendent que la consécration légale, pour devenir des corporations véritables.

             Moins répandue dans les milieux industriels, l'idée y a fait pourtant depuis quelques années des progrès sensibles. Partout où elle s'est introduite, elle a eu les effets les plus heureux.

             L'expérience a montré que partout où des hommes de bonne foi, même issus de milieux sociaux très divers, se rencontrent pour une explication loyale, les malentendus se dissipent pour faire place à la compréhension, puis à l'estime, puis à l'amitié.

             Lorsque dans chaque entreprise, ou dans chaque groupe d'entreprises, patrons, techniciens, ouvriers, auront pris l'habitude de se réunir pour gérer en commun les intérêts de leur profession, pour administrer en commun leurs oeuvres sociales, apprentissage, placement, qualification, allocations familiale, secours de maladie, retraites, logements ou jardins ouvriers, il ne tardera pas à se créer entre eux une solidarité d'intérêts et une fraternité de sentiments indestructibles.

             Dès lors, l'union de la nation ne sera plus une formule trop souvent trompeuse, mais une réalité bienfaisante.

             L'ordre social nouveau, tenant compte de la réalité économique et de la réalité humaine, permettra à tous de donner leur effort au maximum dans la dignité, la sécurité et la justice.

             Patrons, techniciens et ouvriers, dans l'industrie comme dans l'artisanat, formeront des équipes étroitement unies qui joueront ensemble, pour la gagner ensemble, la même partie. Et la France, sur le plan du travail comme sur tous les autres, retrouvera l'équilibre et l'harmonie qui lui permettront de hâter l'heure de son relèvement.




 

Texte précédent - Retour page accueil - texte suivant